PNR 76

Expertiser la souffrance et la transgression. Savoir et pouvoir de la psychiatrie légale

Assistance et coercition. HESAV participe au PNR 76

«L’intérêt des victimes et des personnes concernées, mais aussi de leurs descendants, réside dans la documentation, la mise au jour et la reconnaissance de la souffrance subie et de ses conséquences, notamment pour les générations suivantes». PNR 76/Mise au concours

Dans la continuité des travaux entrepris par la Commission indépendante d’experts sur les internements administratifs (CIE), le FNS lance en 2018 le Programme national de recherche «Assistance et coercition : passé, présent et avenir» (PNR 76 ).

A la demande du Conseil fédéral, il s’agit de poursuivre l’investigation historique sur les conséquences sociales et humaines de pratiques coercitives d’assistance. Placements extrafamiliaux d’enfants, internements à caractère disciplinaire (alcooliques, «fainéants», filles-mères), mises sous tutelle abusives, incarcération d’inculpés souffrant de maladies psychiques : quelles furent les atteintes à l’intégrité et aux droits des personnes au motif de préserver l’ordre public ? Aussi, de quelle façon ces mesures ont-elles assuré une protection des plus fragiles ? A l’échelle des cantons, l’action publique a-t-elle contribué à réduire, à perpétuer ou à accroître les inégalités sociales ?

Si certaines pratiques, normes et idéologies appartiennent résolument au passé, la tension demeure entre le respect des libertés et le maintien de l’ordre public. Raison pour laquelle, la visée du PNR 76 est de «dégager des connaissances qui fourniront des repères et une base d’action s’agissant de la manière de s’occuper et de protéger les personnes vulnérables» (PNR 76/Mise au concours).

Notre projet

Parmi les 27 projets retenus dans le cadre du PNR-76, la recherche que nous menons à HESAV aborde les mesures coercitives à des fins d’assistance à partir du rôle joué par l’expertise psychiatrique.

Depuis le début du XXe siècle, le recours à l’expertise psychiatrique est consacré dans les Codes civil (1912) et pénal (1942). En cas de doute sur l’état mental d’une personne, pour décider d’une mise sous tutelle ou se prononcer sur sa responsabilité pénale, l’expertise est en effet une pièce exigée. Peu de choses sont toutefois connues sur cette pratique sollicitée par les mandataires publics et sur les profils des personnes expertisées.

Pour combler ces lacunes, nous investiguons l’influence de l’expertise sur les décisions, sur la perception des personnes et de leurs conditions de vie. La période examinée couvre cinq décennies (1940-1980), au cours desquelles le regard clinique et normatif, le vocabulaire et les sensibilités éthiques, suivent des évolutions. Adoptant une démarche comparative, notre enquête porte sur trois cantons romands (Vaud, Genève et Valais).

Réduire le recours à la contrainte dans le champ médico-psychiatrique, atténuer les effets stigmatisants des mesures de protection de l’adulte, faciliter l’accès aux soins en prison, tels sont des enjeux majeurs qui préoccupent à l’heure actuelle les acteurs auprès desquels notre recherche trouvera un écho : soignants, médecins, juristes, magistrats, curateurs, associations.

Axes de recherche

Afin de comprendre le rôle socio-historique joué par l’expertise psychiatrique, trois axes d’analyse sont privilégiés :

  • 1. Qualifier la transgression et la souffrance

    A l’aide de quelles observations cliniques, diagnostics et critères moraux l’expert psychiatre se prononce-t-il sur les comportements déviants et la souffrance ? A quels facteurs sont attribués les difficultés existentielles, l’endettement, les crimes et les délits ? Quelle part respective est attribuée à la responsabilité individuelle et collective ? Comment les catégories de jugement médico-légal ont-elles évolué au fil des décennies ? Comment l’expertise psychiatrique se positionne face aux attentes sociales qui pèsent sur les hommes et sur les femmes ?

  • 2. Recommander des traitements

    Dans leurs rapports d’expertise, quelles sont les recommandations formulées par les psychiatres et à l’aide de quels arguments ? Quels lieux de prise en charge et quels traitements sont conseillés en fonction des profils cliniques, des identités sexuelles, de l’âge et des attitudes perçues chez les personnes expertisées ? Les recommandations des experts sont déterminées par le champ des possibles existants au moment où ils exercent. La problématique des établissements adaptés aux «patients-détenus» est, par exemple, une constante. A l’orée du XXIe siècle, l’alternative entre un placement à l’hôpital ou en prison refait surface de manière aiguë.

  • 3. Éprouver les mesures : l’expérience subjective des personnes concernées

    Comment les personnes expertisées réagissent-elles aux mesures pénales, tutélaires et/ou administratives qui s’imposent à elles ? Sur quels aspects portent leurs doléances, leurs attentes et leurs signes de reconnaissance ? Quel est l’apport de leurs témoignages à la connaissance des établissements où elles ont séjourné ? Enfin, dans une perspective attentive au genre, comment les mesures sont-elles vécues par les hommes et par les femmes ?

250 ans d’expertise légale : deux projets sur la longue durée

Dans le cadre du PNR-76, le projet ancré à HESAV est réalisé en étroite collaboration avec celui porté par l’Université de Genève (équipe DAMOCLÈS) : «Enfermer pour soigner ? La genèse de la psychiatrie légale» (Michel Porret et Cristina Ferreira).

 

L’ambition est d’interroger l’évolution des pratiques d’expertise entre le milieu du 18e et la fin du XXe siècle en Suisse romande.

Promouvoir la relève à travers le projet du PNR-76

Assistante-doctorante à HESAV pendant quatre ans, Sandrine Maulini a collaboré au projet du PNR-76. Elle poursuit actuellement son travail de thèse au bénéfice d’une bourse Doc Mobility (FNS).