Méthodologie
Explorer des fonds d’archives, croiser des sources documentaires, comparer l’expertise dans le temps et entre cantons romands
Les expertises sont des mandats confiés par la justice civile et pénale aux psychiatres. Mais ces rapports doivent être compris à la lumière du contexte. Notre recherche couvre plus d’un demi-siècle au cours duquel les classifications des maladies, les possibilités thérapeutiques, le vocabulaire ou encore l’offre des établissements socio-sanitaires et pénitentiaires a évolué dans les cantons romands. Quels sont les effets du moment historique sur la posture des psychiatres-experts ? Telle est l’une de nos interrogations centrales.
Une étude comparative : Vaud, Genève, Valais
Couvrant pratiquement tout le XXe siècle, la recherche porte sur trois cantons romands : Vaud, Genève et Valais.
L’expertise psychiatrique est une activité façonnée par les institutions politiques, les législations et l’offre en établissements, variables selon les cantons. Il s’agit de comparer les pratiques d’expertise entre les hôpitaux psychiatriques universitaires (VD et GE) et un hôpital situé dans un canton périphérique et non universitaire (VS). Lieux d’internement, de mise en observation et d’expertise, trois établissements hospitaliers font ainsi partie de nos terrains d’étude : l’Hôpital de Cery (VD), la Clinique Bel-Air/Belle-idée (GE) et Malévoz (VS).
Design de la recherche : approche quantitative et qualitative
Une analyse qualitative et quantitative d’expertises civiles et pénales, produites entre 1940 et 1985 dans les trois cantons, constitue le cœur de notre projet. A cette fin, nous travaillons avec une base de données (Filemaker-Pro) qui interroge les profils sociologiques des expertisés, les parcours pénaux, civils et administratifs, ainsi que les observations, conclusions et recommandations des experts. L’élaboration de cette base et les analyses statistiques sont confiées à David Perrenoud, mandaté comme sociologue indépendant.
De par la richesse des pièces qu’ils comportent, certains dossiers se prêtent à une étude approfondie. À travers ces analyses de cas, nous pouvons suivre des parcours de vie jalonnés par des mesures qui se succèdent, voire se superposent : mises sous tutelle, condamnations pénales, séjours psychiatriques. Ces vies sont tout aussi marquées par l’exercice plus ou moins régulier d’un métier, par des relations sentimentales inégalement heureuses, par des évasions rêvées ou réalisées à l’étranger, par des retours en Suisse.
Ecrits personnels
Pour considérer les points de vues des hommes et des femmes soumis à des mesures, nous explorons les traces écrites conservées aux archives : lettres, cartes postales, carnets, poèmes, mémoires. A travers ces sources, nous faisons une histoire des institutions «par le bas» servant de contrepoint nécessaire aux discours tenus par les professionnels sur leur identité et mode de vie.
«Je vous écrit ses quelques mots, pour vous demander de m’aider, dans ma prochaine demande, en conditionnelle, le 9 avril. Si vous ne voulez pas le faire pour moi, faite le pour mes enfants, et ma femme, cela leur ferai un beau cadeau de pâque, car mes enfants m’aime beaucoup. (…) A parre mes petits suicides manqué, je me conduit bien, donc pas de problème de ce côté, quand au reste, je vous fais confiance».
Il s’agit d’un extrait de lettre d’un détenu au directeur de l’Institut de Médecine légale, sur papier à en-tête de la prison de Saint-Antoine à Genève (1968). Le règlement qui y est imprimé stipule notamment que «les condamnés peuvent écrire quatre lettres par semaine, soit deux le jeudi et deux le dimanche. Leur courrier, tant celui qu’ils reçoivent que celui qu’ils expédient, est soumis à la censure de la direction.»