Malévoz : l’asile-village

Sur une période qui débute dans l’entre-deux-guerres pour s’achever aux alentours de 1990, cet article examine le rôle politique joué par l’hôpital psychiatrique de Malévoz. Davantage qu’un établissement de soins et véritable micro Etat social, Malévoz participe pleinement au gouvernement local des populations marginales et marginalisées. Animés par des philosophies distinctes et historiquement situées, les médecins directeurs de Malévoz sont des figures d’autorité incontournables, mais contestées. André Repond et Jean Rey-Bellet – au centre de notre propos – entreprennent des réformes novatrices au effets retentissants. Parce que leurs actions soulèvent des questions névralgiques sur la liberté individuelle, la dangerosité des malades et la sécurité publique, dès lors ce sont les clivages idéologiques du champ politique valaisan qui finissent par remonter à la surface.

Entouré d’une forêt de châtaigniers, avec ses pavillons aux allures de chalet parsemés sur un terrain en pente qui surplombe la ville de Monthey, accessible à pied en quelques minutes, Malévoz est conçu dès le départ comme un « asile-village ». Fondée en 1901 par Paul Repond , la Maison de santé est le premier établissement en Valais destiné aux « malades nerveux et mentaux ». Jusqu’alors les malades étaient soit hospitalisés dans d’autres cantons, soit employés aux tâches agricoles au sein de leurs familles.

Dans un canton pauvre où l’État tend à déléguer à la sphère privée la responsabilité des œuvres sociales, Malévoz est un véritable « État social » miniature : pourvoir les démunis d’un toit, de repas, d’occupations, de liens sociaux, de soutien spirituel assuré par des sœurs religieuses.


Depuis sa création en 1901 jusqu’en 1990, Malévoz bénéficie de l’aide apportée par des sœurs de diverses congrégations : les Sœurs de Saint-Joseph, la Congrégation des Sœurs de Saint-Maurice, la Congrégation des Sœurs de la Sainte-Croix d’Ingenbohl. A peine concevable dans des cantons urbanisés où les institutions de soins sont laïques, en Valais les psychiatres perçoivent des avantages dans l’association étroite avec les ordres religieux. En 1966, le personnel compte 18 religieuses affectées à différentes tâches : soins infirmiers services de maison, cuisine, buanderie.
Les religieuses organisent des voyages spirituels avec l’appui inconditionnel des psychiatres. En 1987, le Dr Granges, psychiatre responsable du Service psychosocial, s’adresse au Conseiller d’État Raymond Deferr pour appuyer une demande de financement d’un voyage à Assise que des Sœurs entendent entreprendre avec une trentaine de patients. Il déclare être « personnellement très fier » que le service qu’il dirige « ait pu encourager ces initiatives, qui représentent une création originale, ancrée à la fois dans les traditions d’un vieux pays catholique, et dans des techniques modernes de la psychiatrie ambulatoire ».

En 1965, doté de 460 lits, Malévoz comporte un pavillon surpeuplé où « les malades sont encore logés dans des dortoirs […], ne disposent non seulement d’aucun confort, mais même pas d’endroit pour placer leurs vêtements et quelques objets personnels ».
Peu à peu, les travaux de rénovation mettent fin aux dortoirs au profit de chambres plus confortables et avec davantage d’intimité. Directeur de Malévoz entre 1965 et 1990, Jean Rey-Bellet , est intimement persuadé par les vertus apaisantes d’une décoration aux allures domestiques – rideaux aux fenêtres et lits en bois – alors qu’inversement, les lits métalliques cloués au sol et les tapisseries décaties invitent en toute logique à la démolition.


La liberté donnée aux malades de gérer leur propre argent

Visant à « supprimer une entrave de plus à la liberté des malades », Malévoz crée en 1968 un système de banque géré par le service social interne. Jusqu’alors c’était l’infirmier-chef du pavillon qui conservait l’argent et le distribuait au gré des demandes.
Disposant librement du revenu gagné grâce au travail dans les ateliers, les patients peuvent ainsi devenir des clients et obtenir la considération des commerçants alentours :
«L’injection d’argent, ainsi obtenue, dans le porte-monnaie des malades chroniques, stimule leurs besoins de vivre et d’échanger et leur donne le courage d’entrer en transaction avec la ville au travers des commerçants qui, bon gré mal gré, finissent par ne plus voir d’un mauvais œil les 80 à 150’000 francs que nos hôtes dépensent chaque année.»
Roberto HENKING, Jean REY-BELLET, « L’hôpital psychiatrique valaisan 20 ans après », Médecine et Hygiène, n°1678, 1986 : p. 2394.
